Publié le 8 mars 2020

Déblayer la scène: être une femme en enquête incendie

À l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous tenons à souligner la carrière de madame Carole Rousseau, spécialiste en incendie du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale aujourd’hui retraitée. Elle a généreusement accepté de nous ouvrir les coulisses de son parcours exceptionnel, le temps d’une rencontre avec Bernard Pelletier, président d’Origin Enquêtes technico-légales et Catherine Dicaire, experte en incendie chez Origin.

Titulaire d’une technique en chimie analytique, madame Carole Rousseau a d’abord été embauchée comme technicienne au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) en 1974. Elle a ensuite complété un baccalauréat en chimie à l’UQÀM grâce à une initiative de la toute première ministre de la condition féminine, madame Lise Payette, qui avait établi un concours visant à favoriser l’avancement des femmes en remboursant leurs études.

En 1988, elle s’inscrit au certificat en enseignement, alors qu’elle est toujours technicienne au Laboratoire. Approchée pour donner un cours à l’École Polytechnique en chimie du feu avec Pierre Ricard, elle est alors initiée à l’enquête en incendie. À titre d’enseignante, elle a parfois été confrontée par des étudiants, mais elle s’est toujours montrée patiente, soucieuse de bien transmettre la matière.

En 1990, après avoir obtenu un poste de spécialiste en incendie au LSJML, elle se rend sur ses premières scènes : « Même si j’étais en formation, on me posait des questions scientifiques pointues. C’étaient des gars aguerris. Les policiers connaissaient bien la chimie du feu. Il a fallu un temps pour que j’aie leur confiance. »

Coupes budgétaires, restructurations : entre 1990 et la fin de sa carrière, en 2008, le LSJML subit d’importantes transformations. Alors qu’elle pouvait être dépêchée sur une centaine de scènes d’incendie par année à ses débuts comme experte, elle ne sortait pratiquement plus dans les dernières années.

C’est dans ce contexte que Catherine Dicaire fait son entrée au Laboratoire: après avoir travaillé pendant près de dix ans dans le milieu pharmaceutique, elle y sera chimiste en incendie et en explosion pendant un peu plus de cinq ans. Elle y effectuera principalement des analyses en lien avec des dossiers d’incendies criminels pour différents corps policiers du Québec. En 2018, elle arrive chez Origin, où les sorties sur les scènes d’incendie, qui n’étaient plus courantes au LSJML, constitueront une grande partie de son travail.

Déconstruire les préjugés

Première femme à exercer ce métier au Québec, et probablement au Canada, madame Rousseau a dû évoluer dans un univers très masculin, parfois machiste. Son aplomb et sa détermination lui auront valu d’être pleinement reconnue pour ses qualités professionnelles et de démentir certains préjugés. Authentique, directe, elle aura réussi à se faire respecter même de collègues aux comportements parfois misogynes.

Questionnées sur la difficulté d’être une femme dans ce milieu, madame Rousseau et madame Dicaire sont du même avis : si elles sont jugées plus sévèrement que leurs collègues masculins — peut-être se jugent-elles plus sévèrement elles-mêmes, car les préjugés dans une culture peuvent être sournois, parfois même involontairement imposés par les personnes qui en sont l’objet, sous la pression sociale —, elles sont aussi d’avis que le fait d’être une femme en enquête incendie présente certains avantages. Certaines personnes rencontrées sur les scènes ont tendance à s’ouvrir plus facilement à elles qu’à leurs collègues masculins ; est-ce parce qu’elles inspirent moins la méfiance, ou simplement parce que les gens sont moins habitués de rencontrer des expertes en incendie? Cette différence de rapport peut s’avérer un avantage, dans la mesure où elle leur permet à l’occasion d’obtenir des informations pertinentes, voire cruciales pour les enquêtes.

Si madame Rousseau est devenue une figure reconnue du milieu de l’enquête en incendie, c’est notamment grâce à la collaboration de nombreux collègues qui ont cru en elle et qui l’ont soutenue tout au long de son parcours, notamment Claude Fortin, son ancien patron au Laboratoire, et Pierre Ricard, avec qui elle a enseigné.

Expertes en incendie

Qu’en est-il de l’avenir pour les femmes en enquête incendie ? S’il y a aujourd’hui plus de femmes que d’hommes qui décrochent un diplôme universitaire, madame Rousseau estime néanmoins que le milieu demeurera davantage masculin. Elle croit par ailleurs fermement que les femmes y ont une place. Les femmes ne devraient pas avoir à prouver qu’elles sont capables de faire ce métier, ajoute Catherine Dicaire. Les mentalités ont progressé dans les dernières décennies, et c’est en grande partie grâce aux pionnières comme madame Rousseau, qui ont ouvert la voie aux autres femmes dans les métiers moins traditionnellement féminins, comme l’enquête incendie. Nous tenons particulièrement à remercier madame Carole Rousseau d’être venue nous rencontrer pour partager ses souvenirs et son expérience à nos bureaux de Dollard-des-Ormeaux, le 20 février 2020.

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